Les autistes s’expriment parfois d’une manière un peu particulière, que certains qualifient de pédante ou prétentieuse. Des gens se surprennent de voir des enfants Asperger parler avec un vocabulaire anormalement recherché pour leur âge. Mes parents m’ont d’ailleurs dit que j’étais très précoce à cet égard; j’avais une soif énorme d’apprendre de nouveaux mots, et ce, avant même d’avoir 2 ans. Je m’emparais du catalogue Distribution aux consommateurs et, en pointant des photos d’objets, réclamait qu’on m’en dise le nom. « C’est quoi ça? » demandais-je sans me lasser. Mon vocabulaire étendu aurait apparemment impressionné la propriétaire de la garderie en milieu familial que mon frère et moi fréquentions à l’occasion.
Mis à part cette gentille dame, on m’a très peu fait de commentaires sur ma façon de parler au fil des ans, si ce n’est une fille dans mon cercle d’amis au Cégep qui m’appelait « le dictionnaire ». C’est à peu près à cette période de ma vie que j’ai commencé à employer des mots que je trouve beaux, mais qui sont moins répandus. Je me rappelle avoir jeté mon dévolu sur « mirobolant » un moment donné; maintenant, c’est le terme « fabuleux » que j’utilise à toutes les sauces. Aussi, le conjoint d’une amie, du temps où j’habitais en Outaouais, trouvait très drôle que je dise « d’accord » plutôt que « ok ».
Autre trait typique en lien avec l’expression orale : le souci de précision. Certains autistes très pointilleux à cet égard ont même tendance à relever les erreurs d’autrui. C’est le cas de mon frère, qui m’a déjà fait savoir que je ne prononçais pas le mot « mezzanine » correctement (il faut mettre un « d » devant les « z », comme pour « pizza »). Et récemment, j’ai eu une conversation téléphonique surréaliste avec lui. Je m’apprêtais à lui raconter quelque chose en lien avec un de mes clients, quand je me suis aperçue qu’il ne savait pas que j’avais ce nouveau client.
- Bon, je vais te faire un recap.
- Qu’est-ce que ça veut dire?
- Qu’est-ce que tu penses que ça veut dire?
- Récapitulation?
- C’est ça.
- Mais est-ce que ça existe en anglais recapitulation?
- Hmmm, j’suis pas sûre…
- D’ailleurs, est-ce que c’est féminin ou masculin? T’as dit un UN recap.
- (Moi qui commence à être exaspérée par cette discussion) Arrrghhh, ça paraît que t’es Asperger!
Je pense que je n’ai pas, comme mon frère, la fâcheuse manie de corriger les autres. Non, c’est faux, je peux être gossante moi aussi. Je me souviens de quelques épisodes où ma belle-sœur a été victime de mon obsession pour le mot juste. C’était à l’époque où elle me répétait souvent que j’étais chanceuse d’avoir un ventre plat et des abdos bien définis. Je lui répondais chaque fois que mes muscles abdominaux n’étaient aucunement le résultat de la chance, mais plutôt le fruit de nombreuses années d’entraînement au Pilates. Une personne neurotypique aurait sûrement considéré le commentaire de ma belle-sœur comme un compliment et aurait été flattée. Pas moi; j’avais juste une fixation sur le mot « chanceuse ». Je lui ai servi le même raisonnement lorsqu’elle a affirmé me trouver chanceuse de voyager beaucoup. Encore là, je trouvais que la chance n’avait rien à voir là-dedans, car je n’avais pas gagné ces voyages à la loterie. Si je pouvais me les permettre, c’est parce que j’économisais scrupuleusement à chacune de mes payes.
Après s’être fait sermonner à quelques reprises, ma belle-sœur ne m’a plus jamais dit que j’étais chanceuse de quoi que ce soit. Je ne sais toutefois pas si je l’ai traumatisée au point où elle n’ose plus le dire à d’autres non plus.
Merci pour ça!!! 😉